NOUVELLES DONNÉES SUR

LES LAPINS BLANCS

AUX YEUX BLEUS

Samuel BOUCHER
Vétérinaire - Juge Cunicole Officiel

Il y a plusieurs années, quelques généticiens, notamment des anglais, ont étudié les Lapins blancs aux yeux bleus. Leur modèle d'étude fut le Blanc de Vienne. Par la suite, le fruit de leurs recherches fut admis dans le monde entier et, depuis ce jour, toutes les publications scientifiques ou non traitant de la génétique du modèle "blanc aux yeux bleus" s'en inspirent. Or, il semblerait que les conclusions auxquelles ils ont aboutit puissent être réévaluées aujourd'hui.

Plusieurs contradictions demeurent, aussi avons-nous été amenés à étudier de façon rigoureuse ce modèle de coloration.

Pour bien comprendre les faits, remontons à la source et voyons ce que nous apprend l'histoire des principaux lapins blancs aux yeux bleus.

1 - L'histoire des Hussumer, Blancs de Vienne, Polonais aux yeux bleus

En ce qui concerne le Blanc de Vienne, les écrits du cuniculteur Hermann Ziemer nous apprennent que les éleveurs voulaient créer un lapin blanc qui n'ait pas les yeux rouges. Lui-même créera, à partir de Hollandais fortement panachés (donc très blancs), un animal aux yeux bleus. Toutefois, les sujets obtenus possédaient encore des taches sur la croupe, les oreilles et le tour des yeux. Ils formeront la race des Hussumer aux yeux bleus disparue au cours de la guerre 1914-1918.

Mais c'est Mucke qui - entreprenant le même travail de décoloration du Hollandais - est le véritable facteur de la race des Blancs de Vienne actuels qui seront reconnus en 1907 par l'officialisation du premier standard.

Le Polonais aux yeux bleus a un peu la même origine puisqu'il est issu de croisements entre les descendants des petits lapins trouvés sur le marché aux fourrures de Lesedo et des Hollandais. Là encore, un travail de décoloration a été effectué pour créer le nain que nous connaissons actuellement.

L'histoire de toutes ces races présentant un patron coloré identique montre qu'elles sont toutes issues de la sélection de souches de Hollandais très blancs.

Pourtant, les généticiens qui se sont précédemment penchés sur la question ne tiennent pas compte de ces faits et expliquent qu’un gène majeur récessif à pénétrance complète, noté "v" existe et permet, à l'état homozygote pour le caractère, l'expression du modèle "blanc aux yeux bleus". Le génotype d'un animal présentant un tel patron serait alors "vv".

En clair, cela voudrait dire qu'un jour est apparue une mutation. Comme toutes les mutations, elle surgit d'emblée et se transmet telle quelle d'une génération à l'autre. Donc, le modèle "blanc aux yeux bleus" aurait dû se manifester dans une portée, un jour, et sous la forme qu'on lui connaît actuellement. Or, nous venons de le voir, ce n'est pas le cas puisque, bien au contraire, il est issu d'une lente et patiente sélection à partir du Hollandais. Poussés par de telles contradictions, nous avons repris des séries d'expériences pour savoir scientifiquement si le gène "v" existe réellement chez le lapin blanc aux yeux bleus.

2 - Les lapins blancs aux yeux bleus actuels ont-ils ce génotype?

Prenant comme hypothèse le fait que "v" existe, puisque c’est ce qu'affirment encore certains généticiens, nous avons croisé des lapins blancs aux yeux bleus (il s'agissait de Polonais) de génotype supposé "vv" avec des animaux homozygotes pour le caractère sauvage dominant V+.

La logique génétique jusque-là admise aurait voulu qu'on obtienne uniquement en première génération des animaux entièrement colorés de génotype "V + /v". Tel ne fut pas le cas et, sur soixante-dix huit jeunes, trois seulement n'avaient pas de blanc. En revanche, les panachures (plages blanches) étaient parfois réduites à un seul ongle ou couvraient la moitié du corps des animaux. Tous les intermédiaires imaginables semblent exister et présentent un modèle Hollandais à défauts. Toutefois, aucun animal entièrement blanc aux yeux bleus n'est né. Ceci prouverait à posteriori l'homozygotie des parents colorés si tant est qu'on garde les hypothèses anciennes émises.

D'autres expériences d'obtention de F2 et de croisements retour ont confirmé de telles observations et nous permettent aujourd'hui de conclure.

La panachure s'exprime de façons multiples et apparaît donc dès la première génération lorsqu'on croise un animal théoriquement homozygote pour "v" avec un autre animal homozygote pour "V + ". C'est ce qu'ont montré nos travaux, ceux de Lienhart et de tous ceux qui l'ont suivi.

Dès lors, on peut affirmer que le gène muté "v" n'existe pas, du moins sous la forme d'un gène majeur récessif à pénétrance complète.

Mais alors, que devient la génétique des Blancs aux yeux bleus?

3 - Une autre façon d'aborder le sujet

Chez le lapin, le blanc aux yeux bleus résulte donc de l'extension totale de la panachure. Les études génétiques que nous avons menées nous autorisent à penser qu'il convient de le décrire comme un animal à"panachure totalement envahissante". Il est alors logique de rechercher son génotype parmi celui des animaux panachés. Comme par hasard, c'est le Hollandais, son ancêtre, qui apporte une solution envisageable. Le "blanc aux yeux bleus" serait en fait le terme extrême d'expression de la panachure du Hollandais. Il représenterait en quelque sorte un Hollandais totalement blanc.

Chez les lapins de race Hollandais et leurs dérivés, il est fréquent d'observer des yeux comportant une petite zone bleue (c'est d'ailleurs un défaut). On parle d'iris hétérochrome.

Ainsi, qu'on parte du Hollandais ou des blancs aux yeux bleus, on trouve toujours des descendants présentant le même phénotype. On pourrait les considérer comme étant "cousins".

Dès lors, nous rattachons la génétique des blancs aux yeux bleus à celle des Hollandais. Là encore, de très nombreuses hypothèses, toutes plus ou moins applicables en pratique, ont été émises.

A ce sujet, Searle en 1968, reprenant les hypothèses de Punnet et Pease, résume très bien les choses par cette phrase : "il y a eu quelques controverses sur la génétique du panaché hollandais mais il semble clair qu'il existe un gène récessif "dû" à la base ainsi qu'un nombre inconnu de gènes modificateurs mineurs". C'est également ce que nous croyons tout en faisant intervenir la notion de dominance. Des seuils d'expression ne sont pas exclus.

En résumé, nous avons mis en évidence l'existence d'un gène majeur dominant noté "Hol" qui permet l'expression de la panachure en plaques (type hollandais). Le Blanc de Vienne, sorte de Hollandais blanc, a donc un génotype qui comporte ces gènes.

En outre, nous avons décrit une polygénie modificatrice d'étendue de la panachure. On la note "panach". Ainsi, on considèrera aujourd'hui que les lapins blancs aux yeux bleus possèdent, outre le gène "Hol", un très grand nombre de polygènes d'extension de panachure. De ce fait, ils apparaissent blancs. Il est possible que ces polygènes s'expriment uniquement par seuils, c'est à dire qu'un petit nombre présent n'aurait pas d'effet et qu'à partir d'une certaine quantité de gènes, le phénotype se modifie en bloc. Toutefois, l'existence même des polygènes n'ayant jamais été montrée avec certitude, il faut considérer que le modèle génétique proposé n'est qu'une aide graphique au raisonnement génétique.

Enfin, quelques expériences ont été menées sur des animaux présentant une hétérochromie de I'oeil. Il semblerait en fait que ce soient les gènes régissant l'étendue de la panachure qui agissent également sur la pigmentation de l'iris de l'oeil.

Conclusion

Il est désormais établi, après l'avoir montré ethnologiquement puis par l'expérience, que la couleur des lapins blancs aux yeux bleus n'est pas due au gène "v". Ce gène doit désormais être oublié au profit du gène majeur dominant "Hol" également possédé par les lapins Hollandais. Le phénotype des Blancs de Vienne, de Beveren ou des Polonais aux yeux bleus est donc régi par un gène majeur dominant auquel s'ajoutent de très nombreux polygènes modificateurs d'étendue de la panachure Cette remise en question des processus régissant l'hérédité de nos lapins est primordiale. Sa connaissance permet de ne pas s'écarter trop du type et de l'originalité de la race lorsque - par nécessité - on doit procéder à des croisements dits abusivement, "régénérateurs".